CHATEAUBRIAND (François-René de)


Discours qui n’a pas été prononcé à l’Institut. [Suivi de] [STAËL-HOLSTEIN (Germaine de)]. Fragments inédits de Madame de Staël.

[1811-1813]

In-8 (205 x 140 mm), 20 pp. pour le Discours, 23 pp. pour les Fragments, avec une trentaine de feuillets vierges avant et après les copies, maroquin vert, double filet doré, chiffre doré AM aux coins, dos lisse orné titré Mélanges, tranches jonquille (Reliure de l'époque portant l'étiquette tête-bêche de Michel Janet Papetier Rue St. Honoré N°218 à Paris).

UNE COPIE MANUSCRITE D’ÉPOQUE DE DEUX ŒUVRES QUI, CENSURÉES PAR LA POLICE DE BONAPARTE, CIRCULAIENT À L'ÉPOQUE SOUS LE MANTEAU : LE DISCOURS DE RÉCEPTION DE CHATEAUBRIAND À L'INSTITUT ET DES FRAGMENTS DE DE L'ALLEMAGNE DE MADAME DE STAËL.

CES DEUX TEXTES INTERDITS FURENT DIFFUSÉS À L’ÉPOQUE GRÂCE À DES COPIES QUI PERMIRENT À QUELQUES AMATEURS PRIVILÉGIÉS D'EN PRENDRE CONNAISSANCE.

LES COPIES DU DISCOURS DE CHATEAUBRIAND SONT AUJOURD'HUI ASSEZ RARES, UN CERTAIN NOMBRE SONT CONSERVÉES DANS DES INSTITUTIONS.

LES COPIES DE DE L'ALLEMAGNE, QUE L'ON DEVINE TOUJOURS FRAGMENTAIRES AU VU DU MONUMENT, SONT D'UNE INSIGNE RARETÉ.
ELLES LE SONT D'AUTANT PLUS LORSQU'ELLES SONT ANTÉRIEURES À LA PREMIÈRE ÉDITION MISE DANS LE COMMERCE (Londres, Murray, 1813) COMME SEMBLE L'INDIQUER LE TITRE DE CETTE COPIE "FRAGMENTS INÉDITS".
NOUS N'AVONS RETROUVÉ AUCUNE TRACE D'UNE TELLE COPIE DANS DES INSTITUTIONS.

LA RÉUNION DE CES DEUX ŒUVRES CENSURÉES ET PEU ACCESSIBLES, CALLIGRAPHIÉES PAR UN AMATEUR DE L’ÉPOQUE, EST TOUT À FAIT EXCEPTIONNELLE.

Le Discours qui n’a pas été prononcé à l’Institut

"Monsieur de Chénier mourut le 10 janvier 1811. Mes amis eurent la fatale idée de me presser de le remplacer à l'Institut" (Mémoires d'outre-tombe).

Chateaubriand fut élu à l'Institut le 20 février 1811 et dut, comme l'exige la tradition, prononcer le jour de sa réception un discours dans lequel il était censé faire l'éloge de son prédécesseur. Il ne put se résoudre à honorer la mémoire de Marie-Joseph Chénier (1764-1811), révolutionnaire, régicide et contempteur en son temps du Génie du christianisme.
Le discours fut porté à Napoléon Bonaparte qui en aurait d'après Chateaubriand "çà et là raturé" le manuscrit, "marqué ab irato de parenthèses et de traces au crayon". "L'ongle du lion était enfoncé partout, et j'avais une espèce de plaisir d'irritation à croire le sentir dans mon flanc." (MOT)
Chateaubriand refusa de changer son discours et ne fut pas reçu à l'Institut. Il n'occupa son siège que sous la Restauration.

"Ce discours est un des meilleurs titres de l'indépendance de mes opinions et de la constance de mes principes" (MOT).

L'affaire fit grand bruit et de nombreuses copies circulèrent, toutes désavouées par l'auteur qui ne publia ce texte que dans les Mémoires d'outre-tombe, après 1845.
Bien que désavouées, les copies d'époque sont très proches du texte des Mémoires d'outre-tombe, car Chateaubriand y inséra le texte d'après une copie communiquée par l'un de ses collègues de l'Institut.

Titrée Discours qui n’a pas été prononcé à l’Institut, la copie que nous présentons est signée François-Auguste de Chateaubriant (sic), orthographe souvent utilisée à l'époque. Elle contient en marge les noms en clair des personnes auxquelles Chateaubriand fait allusion.
Le texte est très proche de celui des Mémoires d'outre-tombe et contient des variantes propres à sa condition de copie, comme des remplacements d'un mot par un autre, des adjonctions ou suppressions de mots, l'emploi du pluriel au lieu du singulier et inversement, des changements de temps, etc.
Apparaît la phrase "Un Français fut toujours libre aux pieds du trône." qui est présente dans les copies d'époque mais qui ne fut pas reprise dans les Mémoires d'outre-tombe. (1)

Les Fragments inédits de Madame de Staël : trois chapitres de De l'Allemagne

"Cette oeuvre très ample, à la fois politique, philosophique, littéraire et critique, est d'une remarquable harmonie et d'une grande liberté de pensée." [...]. "De l'Allemagne est un des livres fondamentaux du XIXe siècle, celui par lequel les Français ont été le plus largement initiés à la littérature et à la philosophie allemandes."
En français dans le texte, n°222.

De l'Allemagne est l'une des œuvres majeures de Madame de Staël, à la fois récit de voyage, réflexion sur la philosophie, les beaux-arts, la littérature et la religion. Il s'agit également d'une oeuvre politique forte remettant en question la domination française en Europe, tant dans les arts que dans la politique.
L'ouvrage ne put échapper à la censure impériale, Napoléon le considérant comme hostile à la France et nuisible à son influence à l'étranger. L'édition tout entière fut donc saisie et détruite en 1810, et il ne subsista de la première édition que quelques exemplaires. Madame de Staël, contrainte de quitter la France, se retira à Coppet et s'obstina à diffuser son oeuvre.

"Lors de son exil de 1812-1814, Mme de Staël fait la lecture d'un certain nombre de passages de son manuscrit devant des publics choisis, d'abord à Coppet, puis dans les différents pays d'Europe qu'elle traverse." Axel Blaeschke (2)
Des copies manuscrites circulèrent : "En France, pendant les derniers mois du régime impérial, des extraits du livre de Mme de Staël circulent sous le manteau et des lectures clandestines en sont faites dans de petits groupes". Comtesse Jean de Pange (3)
De l'Allemagne paraîtra finalement à la fin d'octobre 1813 à Londres, puis à Paris en 1814.

Les copies mentionnées par la comtesse Jean de Pange circulaient avant avril 1814 et devaient être réalisées d'après l'édition de 1813, puisque l'édition parisienne ne verra le jour qu'après le retour de Madame de Staël à Paris, en mai 1814.

Le titre de notre copie "Fragments inédits" semble indiquer qu'il s'agit d'une copie antérieure à l'édition londonienne de 1813.

De la même façon que pour le discours de Chateaubriand, le texte est proche de celui imprimé, tout en contenant de nombreuses variantes de mots, conjugaison ou ponctuation.

Cette copie renferme les chapitres III Les femmes, IV De l'influence de l'esprit de chevalerie sur l'amour et l'honneur, et plus de la moitié du chapitre IX Des étrangers qui veulent imiter l'esprit français. Ces chapitres sont contenus dans la première partie de l'ouvrage De l'Allemagne et des mœurs des allemands.
Le chapitre Les Femmes dresse un portrait des femmes allemandes en les comparant aux françaises, en exposant leurs rapports à la société, aux arts et aux hommes.
Il trouve son origine dans les "impressions que [Madame de Staël] a reçues à l'occasion de la rencontre de femmes lors de ses passages à Francfort, puis à Weimar, Berlin et Vienne. Voir [...] sa lettre du 10 décembre 1803 à Necker, dans laquelle elle porte un jugement très critique sur les "hommes allemands" au bénéfice des femmes. (CG V/1, p.134-135 [...]". (4)
Le chapitre s'ouvre de la façon suivante : "La nature et la société donnent aux femmes une grande habitude de souffrir, et l'on ne saurait nier, ce me semble, que de nos jours elles valent, en général, mieux que les hommes."
Dans le chapitre IV De l'influence de l'esprit de chevalerie sur l'amour et l'honneur, Madame de Staël regrette la disparition de l'esprit de chevalerie qui animait autrefois les français, contrairement à l'Allemagne qui, "si l'on excepte quelques cours avides d'imiter la France, ne fut point atteinte par la fatuité, l'immoralité et l'incrédulité, qui, depuis la Régence, avoient altéré le caractère naturel des Français." La Femme est de nouveau un sujet central dans ce chapitre, Madame de Staël dépeignant, entre autre, le manque d'estime dont les femmes peuvent souffrir en France, et ce à cause la perte de l'esprit de chevalerie.
Ce chapitre résonne avec les productions littéraires du Groupe de Coppet. "La chevalerie a été un concept-clef au sein du Groupe de Coppet. Sismondi la traite en historien (Histoire des républiques italiennes), August Wilhelm Schlegel en critique littéraire dans ses Vorlesungen über schöne Literatur und Kunst, sous le rubrique de la "Mythologie des Mittelalters" (Cours sur la littérature et les beaux-arts : Mythologie du Moyen Age)." (5)
Enfin, dans le chapitre Des étrangers qui veulent imiter l'esprit français, Madame de Staël critique le fait que la plupart des pays voisins de la France cherche à imiter ses manières, médisances et commérages inclus, sans cultiver leurs différences et leurs particularités nationales : "on croit trop à Vienne qu'il est de bon goût de ne parler que français ; tandis que la gloire et même l'agrément de chaque pays consistent toujours dans le caractère et l'esprit national".
Bien que ce chapitre ne fût pas copié entièrement dans notre copie, il contient l'un des passages qui posa particulièrement problème à Napoléon et sa censure : "L'ascendant des manières des Français a préparé peut-être les étrangers à les croire invincibles. Il n'y a qu'un moyen de résister à cet ascendant : ce sont des habitudes et des moeurs nationales très-décidées."

Le fait que ces copies aient été calligraphiées par un amateur de l'époque dans un joli carnet en maroquin est tout à fait exceptionnel.

Faute d'avoir pu consulter des copies de De l'Allemagne, les copies du discours de Chateaubriand que nous avons pu examiner étaient soit en feuilles, brochées, ou reliées a posteriori dans une logique bibliophile.
La copie que nous présentons témoigne de l'admiration du copiste pour ces deux importantes figures de la littérature française et particulièrement de leur liberté de penser. Elle fut, suivant toute logique, copiée sur deux copies distinctes de chacun des textes. D'après nos observations et comparaisons, elle ne fut pas copiée d'après une version imprimée de l'un des textes.

Le copiste devait être proche de milieux intellectuels et littéraires de l'époque, car s'il ne devait pas être évident de se procurer une copie du discours de Chateaubriand, il devait être extrêmement ardu de se procurer des passages de De l'Allemagne, qui plus est avant 1813, lorsque l'ouvrage était encore inédit.

(1) Pierre Grossetête. Le Discours de réception de Chateaubriand à l'Académie française et ses variantes. in Bulletin n°36 de la Société Chateaubriand (1993) pp. 6-15
(2, 4, 5) Staël. OEuvres complètes. Série I. Tome III. De l'Allemagne. Texte établi, présenté et annoté par Axel Blaeschke. Paris, Champion, 2017. p. 62, p.111, p. 115
(3) Staël. De l'Allemagne. Nouvelle édition [...] par la Comtesse Jean de Pange avec le concours de Simone Ballayé. Paris, Hachette, 1958. p. xxxiv

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